Tout au long de l’histoire, la Terre n’a pas été la même que celle que nous connaissons aujourd’hui. Au cours des derniers milliers d’années, la planète a quitté les périodes glaciaires pour entrer dans une nouvelle ère de stabilité du climat et des conditions environnementales qui ont permis à l’humanité de croître et de se développer. Cet intervalle dans l’histoire de la Terre est appelé l’Holocène. Cependant, le progrès que l’humanité a connu il y a des centaines d’années s’est fait au détriment de la planète et nous a fait commencer à nous éloigner des conditions de l’Holocène.
En 2009, une équipe internationale de chercheurs du Stockholm Resilience Centre a identifié un ensemble de neuf frontières planétaires pour définir les limites environnementales dans lesquelles notre qualité de vie actuelle pourrait être maintenue. Ce concept a fourni une analyse scientifique et une mesure quantitative des risques de déstabilisation de notre système terrestre.
Pour calculer et évaluer l’impact des actions humaines sur l’environnement, les limites planétaires sont définies en termes de variables de contrôle et de variables de réponse, la première étant l’élément expérimental maintenu constant pendant l’étude, tandis que la seconde est le résultat de l’expérience dont la variation est expliquée par d’autres facteurs. Les scientifiques ont ainsi défini des seuils que l’homme ne doit pas franchir pour éviter des conséquences dramatiques et des changements environnementaux irréversibles.
Malheureusement, 6 sur 9 de ces frontières planétaires ont été franchies jusqu’à aujourd’hui.
Maintenant, faisons brièvement le point sur le statut de chaque frontière planétaire :

Source: stockholmresilience.org
1. Introduction de nouvelles entités dans la biosphère
On sait que les nouvelles entités (parfois appelées polluants chimiques) sont des entités introduites par l’homme dans l’environnement qui peuvent avoir des effets turbulents sur le système terrestre. Nous parlons ici des plastiques, des pesticides, des produits chimiques industriels, des antibiotiques, etc.
Pendant des années, cette frontière n’a pas été quantifiée, et les chercheurs ne pouvaient pas évaluer l’impact de ces polluants sur la planète étant donné l’énorme quantité de produits chimiques en circulation. En janvier de cette année, un groupe de scientifiques a procédé à cette évaluation et a conclu que cette frontière avait été franchie.
“La production de produits chimiques a été multipliée par 50 depuis 1950. Elle devrait encore tripler d’ici à 2050”, a déclaré l’un des scientifiques du Stockholm Resilience Centre. L’étude révèle que la masse totale de plastique sur la planète représente désormais plus de deux fois la masse de tous les mammifères vivants, tandis que la production de plastique devrait encore augmenter à l’avenir.
2. Appauvrissement de l’ozone stratosphérique
La libération de composés chimiques par l’industrie et d’autres activités humaines entraîne une diminution de la couche d’ozone. De ce fait, des quantités croissantes de rayons ultraviolets (UV) nocifs du soleil atteignent le sol, endommageant la santé humaine ainsi que les systèmes biologiques terrestres et marins.
Un amincissement de la couche d’ozone, également connu sous le nom de trou d’ozone, est envisagé à partir du moment où la concentration d’ozone passe en dessous de 220 unités Dobson (DU) – alors que la quantité moyenne d’ozone dans l’atmosphère est de 300 DU, soit une épaisseur de 3 mm. Par exemple, l’appauvrissement de la couche d’ozone se produit au-dessus de l’Antarctique chaque année au printemps depuis les années 1980.
En 1987, le protocole de Montréal a été adopté pour éliminer progressivement l’utilisation de substances appauvrissant la couche d’ozone et reconstituer cette dernière. Plusieurs accords internationaux ayant des objectifs similaires ont été adoptés par la suite. Heureusement, en 2018, les Nations unies ont confirmé que la couche d’ozone se reconstituait, ce qui a permis de rester dans cette limite.

3. Charge d’aérosols atmosphériques
La charge atmosphérique en aérosols désigne les particules microscopiques présentes dans l’atmosphère qui affectent le climat et les organismes vivants. Elle a été intégrée dans les limites planétaires étant donné son influence sur le système climatique ainsi que sur la santé humaine.
Les aérosols sont de minuscules gouttelettes ou particules de liquide qui sont en suspension dans l’atmosphère. Ils peuvent être naturels, comme la brume et la poussière, ou anthropiques, comme la fumée et les polluants atmosphériques. Ils peuvent également affecter la formation des nuages et les modèles de circulation atmosphérique, tels que les systèmes de mousson. Ils modifient la quantité de rayonnement solaire réfléchi ou absorbé dans l’atmosphère. Malheureusement, la pollution et les changements d’affectation des sols ont modifié les charges d’aérosols.
Pour évaluer cette limite, les chercheurs ont utilisé la mousson d’Asie du Sud comme étude de cas et la profondeur optique des aérosols (AOD) comme variable de contrôle. La limite a été fixée à 0,25 AOD, avec une zone d’incertitude entre 0,25 et 0,50 AOD et le résultat est ressorti sur la région d’Asie du Sud à 0,3 AOD. Cependant, il n’a pas été possible de fixer une limite à l’échelle mondiale, on peut donc dire que cette limite n’a pas encore été quantifiée.
4. L’acidification des océans
Comme les émissions ne cessent d’augmenter, l’océan absorbe désormais aussi de grandes quantités de CO2, ce qui entraîne une baisse progressive du pH de l’eau de mer. L’absorption de CO2 par les océans est un phénomène naturel qui permet aux écosystèmes de rester équilibrés. Toutefois, en raison d’un excès de CO2, cet équilibre est désormais perturbé, ce qui entraîne une acidification des océans.
Il est encore difficile de déterminer comment les organismes sont affectés par l’acidification des océans. Cependant, les scientifiques ont déterminé que certaines espèces comme les coraux, les mollusques et le plancton ne peuvent pas s’adapter aux nouveaux niveaux de pH, ce qui peut entraîner des changements radicaux dans les écosystèmes marins et dans la capacité des océans à atténuer le changement climatique. Le seuil d’acidification des océans ne devrait pas tomber en dessous de 80 % du taux de saturation en aragonite de l’ère préindustrielle (une mesure de la concentration en ions carbonate). D’après la dernière évaluation de ce taux, nous sommes toujours dans la limite avec un taux de 84 %.

5. Flux biogéochimiques (cycles du phosphore et de l’azote)
Les flux biogéochimiques font référence aux cycles de l’azote (N) et du phosphore (P), qui sont des nutriments essentiels à la croissance des plantes. Malheureusement, l’activité humaine et l’industrialisation ont altéré les cycles de ces deux éléments. L’azote est transformé en de nouvelles formes réactives qui polluent les cours d’eau et les zones côtières, tandis que le phosphore mobilisé par l’homme pénètre dans les systèmes aquatiques et provoque la prolifération des algues.
Le seuil d’azote est fixé entre 62 et 82 téragrammes par an (Tg N an). Lors de la dernière évaluation réalisée en 2015, les pertes d’azote ont été estimées à 150 Tg N an.
La limite du phosphore est divisée en deux :
– P global: flux de P des systèmes d’eau douce vers l’océan fixé à 11 Tg P an. L’évaluation de 2015 a montré que ce seuil a été franchi à 22 Tg P an.
– P regional: Le flux de P provenant des engrais vers les sols érodables a été fixé à 6,2 Tg P par an, ce qui a été également dépassé à 14 Tg P par an.
6. Utilisation de l’eau douce
La surconsommation d’eau pour l’agriculture et l’industrie, les déchets, la pollution et d’autres menaces ont gravement affecté la qualité et l’abondance de l’eau douce dans le monde.
Pour évaluer cette limite, les scientifiques avaient l’habitude d’évaluer l’utilisation de l’eau bleue uniquement, c’est-à-dire l’eau contenue dans nos réservoirs d’eau de surface et souterraine. En avril 2022, les scientifiques ont intégré dans leur évaluation, en plus de l’eau bleue, l’utilisation de l’eau verte, c’est-à-dire l’eau transpirée par la plante qui provient de l’eau de pluie stockée dans le sol.

Les scientifiques considèrent la consommation d’eau bleue provenant des rivières, des lacs, des réservoirs et des réserves d’eau souterraine renouvelables comme la variable de contrôle au niveau mondial pour évaluer cette limite, avec une valeur seuil de 4 000 km3/an. Selon la dernière évaluation, nous prélevons 2 600 km3 d’eau bleue par an.
Comme mentionné, les scientifiques ont réévalué la frontière de l’eau douce cette année et ont ajouté une nouvelle sous-catégorie : l’eau verte. “La limite planétaire de l’eau verte peut être représentée par le pourcentage de la surface terrestre libre de glace sur laquelle l’humidité du sol de la zone racinaire s’écarte de la variabilité de l’Holocène pour tout mois de l’année”, expliquent les scientifiques. La limite de l’eau verte a en fait été franchie.
7. Modification du système terrestre (déforestation)
Lorsque l’homme décide de convertir des terres naturelles en un autre type de terres à des fins différentes (principalement pour l’expansion agricole), de grandes modifications sont apportées aux concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui se traduit ensuite par des changements dans les flux d’eau, la biodiversité, les flux biogéochimiques d’éléments, etc…
La limite de cette frontière montre que la planète doit préserver 75% des terres forestières avant de commencer à faire face à des conséquences irréversibles sur la biodiversité et les écosystèmes. Malheureusement, la dernière évaluation quantitative indique que nous avons franchi cette limite en ne conservant que 62% de ces terres.
Les scientifiques exigent une limite qui ne se contente pas de quantifier le nombre de forêts, mais aussi leur fonction, leur qualité et leur répartition géographique, afin de mieux évaluer l’impact du changement des terres sur notre système planétaire.
Pour démontrer l’importance de cette limite, sachez que certaines forêts, comme l’Amazonie, ont besoin d’être suffisamment saines pour se maintenir. Cela signifie que si nous passons le seuil, et déforestons une trop grande partie de l’Amazonie, les conditions climatiques qui permettent à une telle forêt géante d’exister seront détruites et le reste de la forêt disparaîtra automatiquement, quoi que nous fassions.
8. Changement de l’intégrité de la biosphère
L’impact des activités humaines sur le fonctionnement de l’écosystème a sérieusement accéléré la perte de biodiversité et l’extinction des espèces. Les scientifiques ont divisé cette frontière entre diversité génétique et diversité fonctionnelle.
La diversité génétique, comme son nom l’indique, est la diversité des gènes, qui comprend les différentes espèces ainsi que les différences entre les gènes d’une même espèce. La diversité fonctionnelle, quant à elle, représente le rôle des différentes espèces dans le fonctionnement de l’écosystème. Par exemple, deux espèces peuvent avoir le même impact sur un écosystème, comme deux types de pollinisateurs. Si l’un de ces pollinisateurs disparaît alors que le second se développe suffisamment pour le remplacer, la diversité fonctionnelle peut être préservée alors que la diversité génétique diminue.
Il est difficile de calculer le taux d’extinction car personne ne connaît le nombre exact d’espèces et de nouvelles espèces sont découvertes en permanence. Pour évaluer la diversité génétique, le seuil à ne pas dépasser est de 10 extinctions par million d’espèces-années (E/MSY). Aujourd’hui, les experts estiment que nous sommes entre 1 000 et 10 000 E/MSY, ce qui signifie que nous perdons des espèces entre 1 000 et 10 000 fois plus que le taux d’extinction naturel.
D’autre part, la limite de la diversité fonctionnelle n’a pas encore été quantifiée à l’échelle mondiale, tandis que l’indice d’intégrité de la biodiversité (IIB) a été fixé à 90 %, avec une fourchette comprise entre 30 et 90 %.
9. Le changement climatique
La limite du changement climatique est de loin la plus connue et la plus discutée. Elle fait référence à la concentration des émissions de CO2 qui provoque un réchauffement de la planète et active des conditions météorologiques extrêmes et d’autres conditions climatiques. Les mesures montrent que la concentration de CO2 dans l’atmosphère a dépassé les 400 parties par million (ppm), ce qui excède déjà le seuil de 350 ppm. Cela a déjà provoqué des changements irréversibles dans notre climat, tels que la fonte des glaciers, l’augmentation du niveau des mers et des conditions météorologiques extrêmes qui ont un impact sur la vie des gens dans le monde entier.

En résumé, les conséquences du franchissement des frontières planétaires ne sont peut-être pas immédiatement visibles à nos yeux, mais elles ont certainement un impact dangereux et irréversible sur les interdépendances des écosystèmes à long terme. Chaque jour d’inaction nous rapproche d’une Terre moins hospitalière.
Pour nous rétablir, nous devons apprendre à vivre en harmonie avec la nature et à maîtriser ses côtés désagréables. Pour ce faire, il est important de considérer toutes les faces du cube et d’essayer de rester dans les limites fixées ou de minimiser les limites franchies. Les défis environnementaux ne se limitent pas au changement climatique causé par les émissions de carbone ; ce n’est que la partie émergée de l’iceberg et il y a plusieurs autres limites à prendre en compte afin d’éviter des conséquences dramatiques.
Si vous recherchez des conseils sur la manière d’évaluer et de gérer l’impact des activités de votre entreprise sur l’environnement, adressez-vous à Flore Andersen, responsable de notre équipe de conseil stratégique.