
L’alimentation, tant au niveau de ses moyens de production que de sa consommation mondiale, est l’une des questions majeures à aborder dans un avenir proche. Le problème est encore plus déroutant quand on sait que nous produisons déjà plus que nous ne le devrions et que cette production mondiale a un impact énorme sur l’environnement, qu’il s’agisse des émissions de CO2, de l’utilisation des sols ou de la consommation d’eau douce.
Ce document répondra à la question suivante : peut-on nourrir 10 milliards de personnes tout en maintenant les impacts environnementaux au plus bas et si oui, comment ?
Les défis à relever
Vivre dans un pays d’Europe occidentale nous empêche de saisir correctement l’ampleur des problèmes alimentaires dans le monde. L’Organisation mondiale de la santé, dans son dernier rapport mondial sur la nutrition, a livré des chiffres inacceptables : 22% des enfants de moins de 5 ans souffrent d’un retard de croissance, 9,7% des femmes âgées de 20 à 49 ans présentent une insuffisance pondérale. Bien que le nombre d’enfants et d’adultes sous-alimentés dans le monde diminue lentement en termes relatifs, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, et le nombre de personnes en surpoids ou obèses n’a cessé d’augmenter depuis 2000. La conséquence est que pour chaque personne souffrant de malnutrition, deux sont en surpoids ou obèses.
Si tel est l’état du monde aujourd’hui, qu’en sera-t-il dans les prochaines décennies ? La population mondiale devrait atteindre 10 milliards d’habitants d’ici 2050, ce qui, même avec les efforts déployés aujourd’hui pour améliorer la situation, signifie qu’un plus grand nombre d’êtres humains souffriront de sous ou de suralimentation chaque année.

Du côté des ressources, si nous avons aujourd’hui la capacité de nourrir plus d’humains qu’il n’y en a sur terre, qu’en sera-t-il lorsque les pays en développement adopteront de nouvelles habitudes alimentaires et de consommation ? Pourrons-nous nourrir 10 milliards d’Européens ou d’Américains du Nord ? Le World Resource institute a montré, en tenant compte de la croissance démographique et économique des pays, que le monde devra augmenter sa production annuelle de calories de 70% d’ici 2050. Si l’on considère également l’augmentation de la consommation de viande dans les pays en développement, cela signifie qu’il y aura une augmentation spectaculaire de l’industrie de la viande.
Cependant, sur le plan environnemental, les types d’aliments ne sont pas du tout égaux. Comment faire en sorte que la production de calories augmente tout en respectant nos objectifs de réduction des GES ? Faut-il interdire la viande ? Quel est le régime alimentaire optimal et est-il reproductible à l’échelle mondiale ?
Analyse du cycle de vie des aliments
Les deux premières questions peuvent être évaluées en mesurant correctement l’impact environnemental des différents produits alimentaires. L’une des méthodes consiste à mesurer et à évaluer les émissions de gaz à effet de serre, l’eutrophisation, l’utilisation de l’eau, la consommation d’énergie et d’autres indicateurs environnementaux de chaque produit alimentaire tout au long de son cycle de vie. La difficulté réside dans la quantité de variables à prendre en compte lorsqu’on veut étudier l’industrie alimentaire : le type de produit, le type d’agriculture, la distance par rapport au consommateur final, le type de méthodes de conservation… Ce qui signifie que deux ACV (analyse du cycle de vie) différentes ne pourraient pas être comparables parce qu’elles n’ont pas pris les mêmes hypothèses. Tous les résultats présentés ci-après proviennent d’articles scientifiques publiés qui citent explicitement toutes leurs hypothèses.
Le premier type d’aliment à étudier est la viande. Il est désormais bien connu que la viande est très critiquée pour son impact environnemental. La plus grande étude faite à ce jour sur l’industrie de la viande est probablement celle réalisée par Battagliese et Al. (2018) sur l’industrie de la viande américaine.

Ce graphique montre la répartition, pour chaque mesure utilisée dans le document, de la contribution des différentes phases. On peut observer que l’alimentation et la croissance du bétail (du veau à la vache) sont les principaux contributeurs dans la plupart des mesures utilisées (10 sur 12). Par exemple, pour l’indicateur du Potentiel de Réchauffement Global, qui mesure les émissions de gaz à effet de serre, près de 50% des émissions totales proviennent du CH4 entérique, émis par la vache pendant son développement.
Pour terminer, ce document a calculé qu’un kilogramme de poids de carcasse (viande consommée par les consommateurs) émet 18,5 kg d’équivalent CO2 (tous les GES convertis en CO2). Lorsqu’une telle évaluation est effectuée pour chaque type d’aliment, on peut les comparer correctement sur un nombre sélectionné d’indicateurs. Le World Resource Institute a publié une telle méta-analyse et a montré les résultats suivants :

Avant d’analyser ce résultat, il convient de noter que le WRI a converti chaque aliment en un équivalent protéique, afin de répondre également à la préoccupation habituelle concernant l’apport en protéines des repas végétariens. Le résultat de leur analyse est sans équivoque : la viande émet plus, consomme plus d’eau et utilise plus de terres que tout autre type d’aliment, et ce dans une très large mesure. Les raisons ne sont pas d’ordre technologique ou humain mais tiennent à la nature même du produit : les vaches ont besoin d’espace, d’eau pour produire les aliments qu’elles consomment et émettent beaucoup tout au long de leur cycle de développement. Si devenir complètement végétarien n’est pas encore considéré comme une nécessité, le simple fait de réduire la consommation de viande rouge, ou de la remplacer par du poulet, diviserait un impact environnemental par quatre.
La viande rouge, et les produits animaux en général, sont donc très polluants. Ceci peut facilement être compris par le fait qu’un animal est une machine très inefficace : il prend des végétaux et les transforme en tissus, os et muscles mais seule une fraction de cette transformation est ensuite extractible pour la consommation humaine (les os, les déchets, l’énergie n’est pas comestible).
Qu’est-ce que le régime “parfait” ?
Ceci constituera la note finale du document : maintenant que nous connaissons l’ampleur de l’impact environnemental des différents types d’aliments, quel serait le régime optimal d’un point de vue environnemental tout en garantissant un apport correct en nutriments ?
En 2006, des chercheurs italiens ont comparé différents régimes alimentaires en fonction de leur impact sur l’environnement. Chaque régime a été élaboré par un diététicien et a un contenu énergétique et nutritif équivalent, mais l’un est omnivore, un autre végétarien (mange tout sauf la viande ou la chair de poisson) et un dernier végétalien (aucun produit d’origine animale). L’impact environnemental de chaque régime est évalué pour deux types d’agriculture : conventionnelle et biologique.
À ces six régimes alimentaires différents, un septième a été ajouté, le régime italien moyen, et tous ont ensuite été comparés et évalués en fonction de l’utilisation des ressources, de l’impact sur les écosystèmes et des dommages causés à la santé humaine.

La même conclusion peut être tirée. Au sein d’un même mode d’agriculture, moins la quantité de viande est importante dans un régime alimentaire, plus son impact sur la santé, les ressources et les écosystèmes réunis est faible. Mais ici, on compare l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique et on peut observer le gain que représente le changement des habitudes de consommation tout en conservant les mêmes régimes alimentaires.
Mais le point le plus intéressant de cette étude est qu’elle montre les ordres de grandeur des changements auxquels on peut s’attendre en changeant de régime alimentaire. Le résultat est intéressant car il montre que le fait d’éliminer la chair animale d’un régime (OMNIV-INT vs VEGET-INT) réduit l’impact global de façon beaucoup plus faible que le fait de simplement manger une quantité de viande plus saine (NORM-INT vs OMNIV-INT). En fait, l’article montre qu’une alimentation végétarienne non biologique aura un impact environnemental plus important qu’une alimentation omnivore saine.
En conclusion, on ne s’attend pas à ce que les gens changent radicalement leurs habitudes alimentaires et de nombreuses études montrent que les gens sont très réticents à faire un tel changement. Cependant, en connaissant ces résultats, on peut savoir que de petites mesures peuvent avoir des résultats énormes au niveau mondial. Par exemple, le WRI a estimé qu’en réduisant de moitié la consommation de viande, on réduirait de moitié l’impact environnemental (émissions de GES et utilisation des terres), alors qu’en retirant la viande du menu, on n’augmenterait cette réduction “que” de 10%. Le message n’est donc pas d’arrêter de manger de la viande, mais de la consommer de manière plus responsable et en pleine connaissance de ses implications sur la santé humaine et l’environnement. L’aspect local de notre alimentation est un critère essentiel pour réduire la quantité de CO2 dans l’assiette. Pour un Européen, manger du poulet de la ferme d’à côté aura toujours moins d’impact sur l’environnement que des avocats du Chili.